mardi 22 novembre 2005, par Ulysses Saloff-Coste
Lucien de Samosate (Commagène, nord de la Syrie en Anatolie) est né vers 120. La réalité sociale est encore valable pour les Antonins. Sa langue maternelle est l’araméen. Il acquière une grande culture grecque et devient un sophiste, orateur itinérant. Il s’installe à Athènes vers 160 et écrit des œuvres satiriques pour dénoncer la vanité de la société. Poste important dans l’administration de l’Egypte. Il meurt sous l’empereur Commode. Son dialogue parle de sa rencontre avec un philosophe rencontré à Athènes. Après éloge des athéniens, critiques des mœurs romaines et en particulier critique du caractère odieux et ridicule et de l’humiliation qu’ils font subir à leur client. Il est possible que Nigrinos n’ait pas existé.
Juvénal du Ier s. ap. Son œuvre date du début du IIe s. Il écrit assez tard dans sa vie. Extrait de la première satire, composée entre 100 et 110. Evocation des raisons qui le motivent à écrire les satires : vices. Mesquinerie des patrons.
A. un phénomène typiquement romain
1. Son rôle social
Le phénomène de clientèle est certainement aussi ancien que Rome elle-même, même si c’est obscur. Liens de dépendance non officiels avec des plébéiens. Ces liens structuraient la société romaine. Lien social vertical et asymétrique. Les devoirs ne sont pas de même nature. Le dominant est le patron, citoyen riche et puissant. Les dominés sont aussi des citoyens, appelés clients (aucun sens économique). Nombre de clients dépend des clients.
Intérêt du système sous la République. Quelques grandes familles se partagent le pouvoir. Ce n’est pas une démocratie. Les grandes familles ont leur clientèle qui vont servir de « colleur d’affiche ». Témoins complaisants pour les procès. Faux témoignages. Apogée au Ier s. av. Les clients sont même alors des armées privées ; combats de rue.
Sous l’Empire, plus besoin d’électeur. Nécessité d’avoir des faux témoins. Plus généralement, dans beaucoup d’occasion, marque de puissance et de fierté quand on est entouré de nombreuses personnes. Les clients en retour peuvent décider d’ériger une statue à leur maître et de faire une louange.
2. Les réalités quotidiennes
Echange de service. Chaque parti doit trouver son compte. Juvénal a lui même été client. Le genre satirique nous amène à être prudent. Le patron exige la « salutatio » qui est dans les deux textes. Visite matinale. Le patron est appelé « dominus ». Les deux textes parlent d’humiliation. Tournée des patrons. Contrainte. Se déplacer tôt le matin. Arrivé dans le vestibule, les clients attendent d’être reçu en étant appelé par un esclave. Certains sont mêmes renvoyés. Certains passent le reste de la journée avec le patron, au forum ou au tribunal. Thermes. Protection des bousculades dans la rue. En échange, ils reçoivent la « sportule » qui est à l’origine un repas ou somme d’argent par la suite.
Mais Lucien évoque encore un repas grossier. Tout dépend des maîtres. Juvénal dénonce la mince « sportule ». La distribution a lieu le matin, en tout cas tous les jours, selon un appel nominal. Récompenser ses clients par des cadeaux ou des invitations à dîner. Encore occasions d’humilier. Le patron peut manger des plats beaucoup plus raffinés, ce qui semblait courant.
Autres aspects, non évoqués. Le patron peut donner des postes dans l’administration et dans l’armée. Le patron peut intercéder auprès d’un haut magistrat pour attribuer un poste.
B. Deux points de vue sur la clientèle
1. Juvénal, client frustré
Il ne dénonce pas l’existence de la clientèle. Il en dénonce les abus. C’est un poète satirique. On peut penser que c’est exagéré. Les satiriques ne mentent pas toujours, même à moitié.
Les causes. La satire montre que les liens de clientèle sont très formels. Juvénal ne dénonce pas explicitement cela. Echange de matériel sans l’ombre d’une estime réciproque. Scène où l’affranchi réclame sa sportule de manière insolente. Plus de relation humaine. Abus qui entraînent un sentiment d’injustice. Effectivement, c’est la scène de l’affranchi oriental qui passe avant les magistrats romains au nom de sa seule richesse. C’est arriviste dégoûte Juvénal. Dénonciation du poids de l’argent. Satire morale générale.
L’affranchi est récemment citoyen. Oriental, étranger. Nouveau riche. Cet homme prétend pouvoir passer devant les magistrats. C’est ce que la classe « moyenne » romaine déteste. Juvénal en fait partie. Il estime qu’il mérite la « sportule ». Le client attend des revenus qui permettent de ne pas travailler. L’affranchi se vante de sa richesse.
2. La critique de Lucien
Il est étranger au système. Condamnation morale qui ne laisse pas de place à une quelconque justification de la clientèle. Elle est condamnable. Pas de recherche de compréhension. Dénonciation de comportements individuels scandaleux. En particulier, ceux des patrons. Comportements vaniteux. Ces riches ont des actes d’adoration. Baise main et prosternation à l’oriental.
Alexandre le Grand avait prétendu imposer aux soldats de son armée, la « proskynèse », la prosternation orientale. Culture qui n’entrait pas dans la culture grecque. Pas avec celle romaine non plus. Symbole de l’avilissement envers le souverain. Mais, c’est Lucien dénigre aussi les clients eux-mêmes et tous les clients. D’après Lucien, finalement, les clients s’humilient volontairement. Ils alimentent l’orgueil de leur patron. Victimes consentantes. C’est bien une critique morale. Pas de différences entre les clients et les patrons. Observation quand les liens sont sclérosés.