Ulysses Saloff-Coste

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La critique du budget 25 juillet 1822

mardi 14 mars 2006, par A. Descorps-Declere, Ulysses Saloff-Coste


Attention : il s’agit ici d’un exposé d’un étudiant. Ce n’est pas un cours d’un professeur. Des coquilles peuvent subsister dues à mon inattention ou à celle de son auteur. Merci de contacter André pour toute reproduction.

Le document en présence est un discours prononcé à la Chambre des députés des départements le 25 juillet 1822. Son auteur est Monsieur Bourreau de Beauséjour (1771 - 1855). Député depuis 1819, il siège sur les bancs de l’opposition libérale et vote généralement contre les projets ministériels. Il fait de nombreuses interventions à la Chambre notamment en 1820 en faveur de la liberté individuelle, et la même année une première vive critique de la situation financière et sociale du pays. En 1822, il refuse de voter le projet de loi sur la police des journaux et écrits périodiques en y voyant une tentative de musellement de ces derniers par le gouvernement.

Depuis le meurtre du Duc de Berry durant la nuit du 13 au 14 février 1820, la majorité ultraroyaliste dirige sa colère contre l’application libérale de la Chartre de 1814. En effet même si ce dernier n’a pas atteint son objectif (éteindre la lignée directe des Bourbons aînés), les ultraroyalistes vont faire une application plus conservatrice de la Chartre. Dès le 30 juin, la loi du double vote est votée. Décazes (royaliste modéré) est remplacé par Villèle (ultraroyaliste). Celui-ci conduit une politique qui tend plus à une monarchie aristocratique qu’à un régime parlementaire. Il légifère sur la liberté du suffrage et de la presse, clé de voûte du régime. La presse est à nouveau soumise au régime préventif par la loi de tendance (1822), qui érige en délit de presse la tendance politique d’un journal, même si cela est implicite. Les députés de l’opposition libérale y voit une tentative de Contre-Révolution.

Dans ce discours, M. de Beauséjour étudie le projet de budget proposé par le gouvernement de Villèle. Tout d’abord, il édifie un raisonnement général autour de la répartition des richesses et des impôts dans la société en divisant cette dernière en deux (les « mangeurs » et « les mangés »). Ensuite, il s’évertue à démontrer que la part du budget consacré à la religion, notamment à l’entretien du faste de l’Eglise, est exorbitante. Il dénonce une tentative de rétablissement de la religion et de la morale en passant justement par ce faste plutôt que « par la probité et les vertus », et finit en concluant sur C/ la part du budget consacré aux ministres.

Quels sont les arguments du discours de M. De Beauséjour contre le projet budget de 1822 ?

Ce texte sera étudié en trois parties, dans une première sera traitée la théorie de la division de la société « mangeurs - mangés ». Une deuxième partie sera consacrée à un budget qui finance une contre-révolution selon l’auteur et la troisième portera sur des dépenses inutiles poussées à l’excès.

I/ La théorie de la division de la société en mangeurs - mangés

M. De Beauséjour commence son discours en justifiant la nécessité d’étudier de plus près le budget. En effet, il est du devoir du représentant du peuple de surveiller que le gouvernement agit dans l’intérêt du peuple (ligne 6 : « dans l’intérêt des gouvernés »). Même si le suffrage est censitaire, pour un député libéral la théorie développée par Royer Colar est valable (même si les libéraux sont pour une augmentation du nombre d’électeur par l’abaissement du cens). Le vote est donc une fonction. La souveraineté nationale est donc confier à un corps d’électeur apte qui représente le reste de la population. Les gouvernements doivent donc établir des budgets qui sont à l’avantage de « ceux qui paient les impôts » (lignes 7, 8) et non l’inverse ce qui semble être le cas depuis l’arrivée de Villèle et l’orientation des réformes qu’il lance. Villèle, ultraroyaliste, n’hésite pas à effectuer des réformes allant dans le sens d’une monarchie plus « aristocratique », ce qui semble insupportable aux 30 députés libéraux de l’assemblée élue en 1820.

M. De Beauséjour va développer une théorie, celle des « mangeurs » et des « mangés ». Il divise la société en deux parties. Une des parties « [dévorerait] » (ligne 9) l’autre. Les « mangés » sont confondus tout d’abord avec les paysans (ligne 14) puis avec tous les travailleurs (ligne 16-17). Les « mangeurs » seraient donc les autres et seraient les « payés ». Ce clivage rappelle fortement celui de l’Ancien Régime, c’est-à-dire entre la noblesse exemptée d’impôts et le Tiers Etat. Pour M. De Beauséjour, les gouvernants font partie des « mangeurs », en cela ils sont les héritiers des nobles d’Ancien Régime et leur budget exploiteraient le reste de la population. En ce clivage parle la peur de l’auteur du retour de la société d’Ancien Régime et du système féodal (ligne 35).

M. De Beauséjour ironise sur le talent de ces « mangeurs » qui excellent dans leurs métiers (ligne 19 : « tire le meilleur parti possible de leurs métiers »). En effet, ces « mangeurs » pour la plupart issue de milieux aisés (bourgeoisie et noblesse) ont pu recevoir des éducations approfondies et peuvent alors mieux gérer leur patrimoine et l’augmenter plus aisément. D’ailleurs selon la théorie de l’auteur, l’enrichissement des uns ne peut se faire sans l’appauvrissement des autres. Les « mangeurs », comme la noblesse d’Ancien Régime, sont un petit nombre (ligne 24 : « 500 000 »). La théorie est que ces derniers imposeraient les autres Français (« trente millions » ligne 25) à leurs purs profit. Cette théorie est dans lignée de la Révolution française et de la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789 et de l’abolition des privilèges, qui semblent pour l’auteur persistaient au moins dans les faits. Il va même jusqu’à accuser ces « mangeurs » et donc le gouvernement de « se considérer comme d’une autre espèce » (ligne 29-30) et donc de persister dans l’idée que Villèle mène une politique de Contre Révolution visible dans son budget et sa politique. Pour lui, la noblesse d’Ancien Régime et la nouvelle noblesse se pense « favoriser par la Providence » (ligne 37) et qu’à ce titre, elle perpétue les anciennes traditions et le système féodal (ligne 35).

Finalement, les principes de la Révolution de 1789 sont en péril bien qu’ils soient inscrits dans la chartre le flou dans l’interprétation de cette dernière permet à Villèle d’exploiter cette faille pour retourner vers un régime plus conservateur. M. De Beauséjour constate l’échec de la « Révolution sociale » et que la société reste organisée sur des principes d’Ancien Régime « viciés » (ligne 38). Alors M. De Beauséjour va s’employer à démontrer la politique de Contre Révolution mené par le gouvernement.

II/ Un budget qui finance une contre-révolution

En effet, M. De Beauséjour, après avoir dénoncé la persistance de la société des ordres, va s’efforcer de montrer la politique de tentative de retour vers l’Ancien Régime. Cette dernière va passer par le soutien d’un retour de l’importance de l’Eglise dans la société. Le gouvernement de Villèle soutient l’Eglise en lui versant d’énormes quantités d’argents (ligne 40) qui sont énumérés à la fin du texte. Par ce procédé, dénoncé par M. De Beauséjour, le gouvernement espère aider au retour de la religion catholique. En effet, cette dernière a beaucoup souffert lors de la Révolution. Ce procédé révolte l’auteur, qui pense même que cela discrédite l’Eglise. Il rend pour seuls responsables les « ordres et actions » de l’Eglise de sa position difficile à l’heure du discours (ligne 43).

Le fait que l’Eglise se fasse soutenir financièrement par un gouvernement ouvertement « rétrograde », comme l’auteur l’a démontré en début de texte, nuit à l’image de cette dernière (ligne 48 à 53). L’auteur se demande si l’Eglise ne compte pas plus sur l’argent que les ultraroyalistes, dit corrompus (ligne 47), lui accordent que sur ses propres vertus pour se rétablir. En effet, l’argent doit permettre à l’Eglise de retrouver son « faste » d’antan, ce qui pourrait impressionner le « petit peuple » et ainsi le ramener à son église. M. De Beauséjour doute de la probité de l’Eglise et même pense tout le contraire.

Il pense que l’Eglise participe, par le soutien qu’elle accorde au gouvernement de Villèle, à la contre-révolution. En effet, on peut voir que le soutien de l’Eglise est « récompensé » par des sommes servant à « l’édification des églises, à la dotation des évêchés, à la construction de séminaires » (ligne 58-59). L’auteur précise même que les prêtres continuent de conseiller la pénitence tarifée, c’est-à-dire pour la rémission d’un péché de faire un don à l’église « comme au dixième siècle » (ligne 60). Cela semble un archaïsme empli de « clichés » de l’Ancien Régime, en ce sens l’Eglise semble le parfait appui pour le gouvernement de Villèle dans l’optique d’un retour aux valeurs de l’ancienne monarchie.

Persister dans ce système de dons à l’Eglise pour cause de pénitence est pour M. de Beauséjour insensé. Car sur le long terme, cela aboutirait à une augmentation du nombre d’ecclésiastiques (car les territoires et nombres de monastères ne cesseraient de croître). Or ces derniers sont déjà nombreux (66 000 ecclésiastiques et 400 maisons religieuses ligne 65-66) et paraît-il au bord de la « disette » (ligne 65). Le véritable problème qu’il pose alors est que « les mangeurs » vivent aux dépens des autres. En effet, ils vivent grâce aux subventions de l’Etat (ils sont fonctionnaires depuis le concordat de 1801). Ils vivent donc aux dépens des « mangés » (« de ceux qui travaillent » ligne 72). Ils sont donc une autre classe de privilégiés qui ne travaillent pas et qui de plus, selon l’auteur, n’hésitent pas à énoncer des principes d’Ancien Régime interdit désormais par la Chartre octroyée lors de leurs sermons (lignes 75-76-77). La société d’ordre de l’Ancien Régime semble donc intacte aux yeux de M. De Beauséjour : les trois ordres sont présents grâce en partie à l’alliance des ultraroyalistes et de l’Eglise. Le gouvernement auraient donc « taillé » son budget en fonction de leur intérêt plutôt qu’en celui des « mangés » par de nombreuses dépenses qui semblent inutiles aux yeux de M. De Beauséjour.

III/ Des dépenses inutiles poussées à l’excès

Dans une troisième partie M. De Beauséjour va s’efforcer de montrer les carences du budget présenté par le gouvernement. Il commence en disant : « Les dépenses inutiles le sont à l’excès et les dépenses nécessaires restreintes le plus possible » (lignes 79-80). En effet, ces priorités ne sont pas les mêmes que ceux de la majorité. Le budget d’instruction primaire est bien inférieur aux budgets que l’on accorde à la religion. Pour les libéraux, l’instruction se doit d’être diffusé car c’est en vertu de cela que l’on peut justifier le cens. Seuls ceux qui possèdent l’instruction suffisante vote or si on ne le diffuse pas, le corps électoral ne peut augmenter.

L’auteur va énumérer les sommes consacrés à l’Eglise dans le budget, ces derniers semblent conséquents et surtout apparaissent sous de nombreuses formes à plusieurs reprises ce qui peut donner l’impression qu’on essaie de dissimuler la véritable importance du budget totale qui est consacré à la religion. L’auteur insiste sur les budgets consacrés à la construction de nouveaux lieux de cultes et de plus précise que les constructions sont en partie financées par les communes (ligne 85-86) ainsi il est impossible de connaître les dépenses exactes de l’Etat pour le culte. L’auteur utilise des comparaisons excessives (lignes 86-87-88) afin de marquer les esprits et insiste une fois encore face à l’énormité de ce budget sur le fait que l’Eglise mise plus sur le faste que sur ces vertus. Pour l’auteur comme déjà explicité cela « perverti l’ordre social » (ligne 99) car cela aide à la contre-révolution.

Cependant, après addition de toutes les dépenses citées pour la religion par l’auteur, on arrive à un montant total de 4 545 100 francs ancien. Ce qui représente à peu près 4% du budget cité au début du texte (113 420 000 francs ligne 2), ce qui somme toute est élevé, mais pas excessif. Il a noté qu’il manque les dépenses des communes donc le budget dépensé pour l’Eglise doit être plus important encore. L’auteur conclut son texte en dénonçant l’énormité du budget accordé au traitement personnel des ministres. En effet, les « mangeurs » en profitent et donc, selon sa vision, s’octroient une belle part du budget pour eux-mêmes. L’auteur n’hésite pas à les attaquer directement et même met en doutes à la fin de sa démonstration leur capacité à gérer l’Etat (ligne 104-105).

Dans ce texte, M. De Beauséjour critique le budget du gouvernement ultraroyaliste de Villèle. Il l’accuse de vouloir faire une contre-révolution. Il critique ouvertement la persistance et la volonté tacite de restauration de la société d’ordres bien que cette dernière soit abolie. Il reproche à ce budget des dépenses inutiles mais surtout l’énormité de la part consacré à la religion Catholique. Le ton employé lors de ce discours permet de voir que la pratique de l’interpellation se met en place au cours de la Restauration mais aussi que l’opposition peut se faire entendre même durant des périodes d’extrémismes. Transparaît au travers de ce texte la peur de la Contre Révolution, peur qui sera d’ailleurs renforcée quelque temps plus tard par la loi de Sacrilège qui punit de mort la profanation des objets du culte Catholique en instaurant l’union du trône et de l’autel.

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